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Celui qui savait parler aux femmes

CELUI QUI SAVAIT PARLER AUX FEMMES


Nouvelle inédite


Avec ses yeux de chien battu, il la contemplait, ému jusqu’à la moelle. Après tant d’années, elle était toujours sa maîtresse, sa Nina, son actrice fétiche, son grand amour.
Ils partageaient le même appartement parisien, les virées du week-end à la campagne et les soirées-DVD, vautrés sur le canapé. Ses films favoris étaient ceux où elle apparaissait, lui permettant ainsi de la couver du regard. La couver en double. Ubiquité sans ambiguïté.
Pourtant, il avait parfois l’impression d’occuper une place accessoire dans la vie de cette femme. Il évacuait d’un geste cette sensation désagréable. Un mouvement brusque qui la surprenait.
« June, qu’est-ce que tu as ? »
Elle l’avait surnommé June avec l’accent. June, fin du printemps et début de l’été. Mais les années avaient filé et le June n’était plus très djeune. Elle non plus. Qu’importe ! Il aimait tant son sourire. Un lever de soleil quand elle s’adressait à lui, tout ensommeillée :
« Bien dormi, June ? Je vais faire le café. »
Lui n’en buvait jamais. Il prenait soin de sa santé et préférait l’eau pure.
S’il avait pu choisir, ils auraient quitté tous les deux Paris, ses caniveaux crottés et ses pots d’échappement, sa grisaille et ses squares rikikis. Ils se seraient réfugiés à la campagne jusqu’à la fin de l’hiver. Leur hiver. Sans regrets.
Mais elle avait sa vie, son métier, ses tournages auxquels il assistait parfois.
Il n’était que la cinquième roue du carrosse, bien qu’elle ne le traitât jamais comme un chien. Le petit mot gentil soufflé au bon moment :
« Ça va ? Désolée de t’abandonner encore. Je te promets de te consacrer tout le week-end. Je t’aime, tu sais bien. »
La caresse et le baiser un peu rapides à son goût, mais il s’en contentait. Faute de mieux !
Et quelquefois, la petite remarque qui blesse, quand elle était d’une humeur de chien :
« Tu as bien de la chance de ne rien faire de tes journées. Moi, à ta place... »
Elle n’était jamais à sa place et n’aurait pas supporté cette inactivité imposée. Des heures à attendre... Il aurait préféré travailler. Ou courir, marcher, voyager, parcourir le monde...
« À ce soir, June chéri ! »
La porte se refermait et il tendait l’oreille : ses pas dans l’escalier — ritournelle qu’il aimait entendre le soir quand elle rentrait.
Les pas s’estompaient et il se précipitait à la fenêtre de la chambre avec l’espoir de voir sa silhouette s’engouffrer dans une voiture.
Et le cœur en miettes, il s’allongeait en chien de fusil, à même le sol. Personne ne le verrait pleurer. Il ne savait pas pleurer. Il se contentait de gémir et de compter les secondes interminables qui s’égouttaient dans l’évier de la cuisine.

Ce matin, la pluie zébrait les vitres d’un rythme inégal, bafouant le cours du temps. Et il sentit qu’un événement allait se produire. De quoi s’agissait-il ? Sa vision restreinte du futur ne lui apportait aucune réponse. Mais il avait le mot, les mots, sur le bout de la langue, dans un coin de la tête.
L’événement eut lieu le soir suivant. Nina était rentrée plus tôt que prévu. Elle annonça, après s’être changée :
« Surprise, chéri ! On va faire un tour. J’ai besoin de m’aérer. Pas toi ? J’en profiterai pour faire une course. »
Ils sautèrent dans un taxi et se retrouvèrent peu après aux Champs-Elysées, marchant côte à côte sur les trottoirs surpeuplés. Elle, pétillante. Lui, saoulé par le flot de voitures et de passants.
« Oh, tu as vu ? Là ! Oui, un oiseau ! »
Un bête moineau sans intérêt. Il guettait le vol impossible d’un aigle. Face à l’Arc de Triomphe...

Elle l’entraîna dans une rue moins fréquentée. Là, ils croisèrent un couple d’une trentaine d’années. Un moustachu, ronchon, avec l’air de celui qui vient d’annoncer une mauvaise nouvelle du style : “Je te quitte, mais on restera bons amis ; arrête de faire la gueule pour ça ” elle, perdue, avec des larmes silencieuses venues d’on ne sait où. Un torrent de chagrin.
Nina leur jeta un vague coup d’œil. Mais lui frémit, car la tête du moustachu ne lui revenait pas, et il murmura d’une voix grave et mal assurée :
« Ne pleurez pas, ma belle. D’autres rencontres sont possibles dans ce monde impitoyable. » Il avait entendu ces phrases dans un film la semaine passée.
Le type écarquilla les yeux et un point disjoncta dans ses pupilles. Sa compagne fixa l’homme sans comprendre — sans doute n’était-elle pas habituée à ce langage châtié.
Le couple qui n’en était plus un s’éloigna, et Nina eut un rire léger :
« Sale gueule, mais belle voix. Une voix de ténor. Tu ne trouves pas, June ? »
Il trouvait, mais se tint coi. À peine remis de sa propre découverte. Une voix de ténor : quel compliment ! Et il se retint d’entonner un air de Don Giovanni, histoire de vérifier qu’il ne rêvait pas.
Mais une vision s’offrait à lui : une sirène à contre-jour, balançant les hanches avec volupté. Une pub de rêve, mieux qu’à la télé. Et il se sentit tout chose — première infidélité par la pensée. Changer de maîtresse ? Non, quand même pas. Juste une petite passade de temps en temps, ce ne serait pas pour lui déplaire. Et il articula du bout des lèvres une réplique de série B :
« Un corps de déesse à damner le pape lui-même...
— Pardon ? fit la jeune fille, interloquée.
— Pardon ? » lança Nina, fixant l’autre droit dans les yeux.
Un regard revolver, digne de la chanson. Regard-qui-tue d’une efficacité redoutable, et la jeune fille fila sans demander son reste.
« Non, mais ! Tu as entendu ça, June ? Elle s’est fichue de moi. Tout ça parce que je pourrais être sa mère. Nom d’un chien, je ne suis pas bonne pour la décharge. Et cette voix d’homme ! Bizarre... la même que celle du type de tout à l’heure. Ah, la garce. C’était préenregistré ! Non... Pas une caméra cachée pour une émission débile, quand même ! »
Elle regarda dans toutes les directions, et le poussa vers un banc égaré.
« Tu crois que j’ai des hallucinations, June ? Ce n’est pas cette fille qui a parlé... » Et soudain, furieuse : « Enfin, dis quelque chose ! J’en ai marre de ton silence ! »
Il inclina la tête, compréhensif, sans parvenir à prononcer une parole, et elle l’embrassa :
« Pardon. Ne m’en veux pas. Je sais bien que tu ne peux pas parler. Quelle vie de chien, mon pauvre chéri. Qui sait ? Peut-être que tu y parviendras un jour. Tu me chuchoteras des mots doux. Tu sauras me consoler, me calmer, me redonner confiance... Tu réalises ? Tu serais le seul à savoir parler aux femmes. »
Il approuva d’un léger jappement, la tête posée sur les genoux de Nina, sa maîtresse, son grand amour, et dit d’une voix si basse qu’elle ne l’entendit même pas :
« Le chien dans un jeu de quilles, c’est moi... »
Elle tira sur la laisse. Il était temps de rentrer.


Date de création : 21/10/2013 : 10:16
Dernière modification : 28/03/2014 : 08:25
Catégorie : Nouvelles (adultes-gds ados)
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