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(4-8 ans) La Société Protectrice des Papas (Histoires (enfants))
La Société Protectrice des Papas
Ann Rocard
(illustration : on voit tout de suite que les habitants sont tous des animaux)
De l'autre côté de Zooville se trouve une grande maison aux volets jaunes.
Sur la porte, trois lettres géantes sont peintes en vert :
S.P.P.
C'est la Société Protectrice des Papas.
Chaque soir, à la tombée de la nuit, Fred Rhino se met au volant de son camion de pompier et il fait le tour de la ville à la recherche des papas abandonnés.
Fred est un vieux rhinocéros, un papi plein d'idées.
Sous le pont de bois, il aperçoit soudain un hippopotame solitaire, un papa hippopotame qui joue du tam-tam en versant des larmes de crocodile.
Hiiiiiiii... un coup de frein, et il saute sur le trottoir en criant :
« Salut à toi ! La S.P.P. t'ouvre les bras ! »
Tope-là ! Il serre la patte de l'hippopotame, lui offre un mouchoir et le fait monter à l'arrière de son camion.
Un peu plus loin, Fred Rhino découvre un perroquet bleu, perché sur un lampadaire.
Hiiiiiiii... nouveau coup de frein ! Et il passe la tête par la fenêtre :
« Salut à toi ! La S.P.P. t'ouvre les bras !
— Je préfère les ailes, ronchonne le papa perroquet. Je préfère les ailes. Je préfère les...
— Tout ce que tu voudras, interrompt Fred Rhino. Je collerai des plumes sur mon blouson si ça peut te faire plaisir. »
Et le camion de pompier repart en crissant des pneus.
Hiiiiiiiiii... Fred Rhino s'arrête ensuite devant une pâtisserie. Un singe, coiffé d'une toque blanche, est assis tristement sur un banc.
« Salut à toi ! crie le vieux rhinocéros. La S.P.P. t'ouvre les bras !
— Je m'appelle Honoré, dit le singe en tirant la langue. Je suis un vrai papa gâteau. Mais personne ne veut plus de moi.
— Arrête de faire des grimaces et viens avec nous, propose le rhinocéros.
— D'accord, approuve Honoré. Mais pouvez-vous aider celui qui se trouve là-haut ? »
Il montre du bout de la patte une silhouette qui gesticule au clair de la lune.
N'écoutant que son courage, Fred Rhino escalade la grande échelle et marche en équilibre sur le toit de la maison voisine.
Un loup, vêtu de rouge, est coincé au sommet d'une cheminée. Un loup qui porte une hotte sur le dos. Une hotte remplie de cadeaux.
Incroyable : c'est le père Nono ! Etonné, le vieux rhinocéros se gratte la corne :
« « Ce n'est pas Noël aujourd'hui. Que fais-tu donc ici ? »
Comme le loup refuse de répondre, Fred Rhino l'aide à sortir de la cheminée et il lui chuchote à l'oreille :
« Tu n'as pas de famille, c'est bien ça ? Qu'à cela ne tienne ! Salut à toi, père Nono ! La S.P.P. t'ouvre les bras ! »
Tous deux descendent la grande échelle et s'assoient dans le camion.
Deux heures plus tard, les papas perdus se retrouvent dans la grande maison aux volets jaunes. Ils boivent du chocolat chaud et grignotent des petits gâteaux.
« Ça ne peut plus durer, proteste l'hippopotame, assis sur son tam-tam.
— Il faut trouver une solution, dit le perroquet en claquant du bec. Il faut trouver une solution, une solution...
— C'est la troisième fois qu'on me jette à la rue, soupire le singe Honoré. Je vais finir par devenir un papa gâteux.
— Il faut trouver une...
— Ça suffit ! s'exclame Fred Rhino. Arrête de répéter tout le temps la même chose ! »
Le loup, lui, ne dit pas un mot. Mais il sort de sa hotte une banderole et une bombe de peinture... Et le voilà qui peint un message en grinçant des dents :
S.P.P. ! S.P.P. ! Les papas en ont assez !
Puis il entraîne tous les papas derrière lui.
« Où allons-nous ? grogne Pom, l'hippopotame.
— Défiler ! répond le loup.
— Défiler ? sursaute le singe Honoré. Mais ce n'est pas le 14 juillet ! »
Fred Rhino applaudit : il a tout compris. Il distribue des lampions et prend son accordéon.
Peu après, un drôle de cortège parcourt les rues de la ville.
Le père Nono et le singe Honoré portent la banderole.
Pom frappe sur son tam-tam et les autres papas tiennent des lampions qui se balancent dans la nuit.
Le vieux rhinocéros joue de la musique et le perroquet bleu chante à tue-tête :
« S.P.P. ! S.P.P. ! Les papas en ont assez !
Ils ont besoin de bisous.
C'est normal, que voulez-vous ! »
Peu à peu, les lumières des maisons s'allument, les fenêtres s'ouvrent, et les Zoovilains écarquillent les yeux :
— Saperlipompon ! Une manifestation !
— Il y a même le père Nono, avec sa hotte sur le dos ! »
Et tous répètent avec le perroquet :
« Ils ont besoin de bisous.
C'est normal, que voulez-vous ! »
Les huit bébés d'Honoré s'élancent de lampadaire en lampadaire et ils bondissent sur la toque de leur père... De vrais Tarzans !
Madame hippopotame et ses jumeaux Pim et Pam se trémoussent au son du tam-tam.
De minuscules perroquets volètent de tous côtés.
Et les bisous pleuvent de partout :
des bisous fous,
des bisous doux,
des bisous en or
et des bisous multicolores !
On raconte que depuis cette nuit-là, la grande maison aux volets jaunes est complètement vide.
Le vieux Fred Rhino fait chaque soir le tour de Zooville, mais il ne trouve plus personne à emporter dans son camion de pompier.
Alors, tout content, il prend son accordéon et chantonne une dernière fois :
« S.P.P ! S.P.P. ! Plus de papas tristounets !
Ils sont couverts de bisous.
C'est normal, que voulez-vous ! »