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(6-9 ans environ) : Pedro Piccolo et Fassol Lassido (Histoires (enfants))

Pedro Piccolo et Fassol Lassido



Ann Rocard



(texte paru dans la mallette "Histoires au fil des jours", éd. Scolavox, qui n'est plus disponible)

Illustrations de

Jeanne Parello-Marneix


Tous droits réservés. Reproduction autorisée à titre privé.

Pedro Piccolo et Fassol Lassido - Ann Rocard





Pedro Piccolo est un drôle de petit homme.
Une moustache noire et pas un seul cheveu.
Des lunettes carrées, perchées sur un nez rond
comme une balle de ping-pong.

Pedro Piccolo est bien ennuyé.
Assis devant un grand tableau noir,
il cherche un air de musique
pour le concert de ce soir.

Pedro Piccolo est un musicien célèbre !
Mais aujourd’hui,
il ne trace pas la moindre note sur la portée
et il gémit :
« Aïe, aïe, aïe et pelure d’oignon !
Je n’y arriverai jamais. »

Pedro saisit son violon, puis sa flûte,
son accordéon... et il chantonne :
« Do, do, do ! J’en ai plein le dos !
Ré, ré, ré ! Le disque est rayé ! Rayé, rayé...
Mi, mi, mi ! Je suis un minable.
Fa, fa, fa ! Je suis fatigué... »

Pedro Piccolo a beau chercher :
sa tête est vide, vide de musique et vide d’idées.

Soudain, il aperçoit un lutin bizarre
qui sautille sur le plancher.
Un minuscule lutin, vêtu de rouge
et portant deux petites cornes sur la tête.
« Qui es-tu ? » s’étonne Pedro.

Le lutin salue poliment et se présente :
« Je m’appelle Fassol.
— Fassol, comme les notes de musique ?
— Exactement ! dit le lutin.
Je m’appelle Fassol Lassido.
Pose-moi sur la portée du tableau ! »

Pedro est surpris, mais il obéit.
Il ramasse le lutin rouge
et le place sur la plus haute ligne de la portée.



Aussitôt, des notes se mettent
à danser... LA SI RÉ !
à sautiller... DO MI RÉ !
de tous côtés... FA SOL RÉ !
Les croches se décrochent,
les rondes rebondissent,
les noires se déhanchent
et les blanches glissent, glissent, glissent...

« Aïe, aïe, aïe et pelure d’oignon !
sursaute le musicien.
Que se passe-t-il ? C’est diabolique !
— Normal ! remarque le lutin rouge.
Je suis un diable.
— Un diable ? Un vrai diable ?
— Evidemment ! dit Fassol Lassido.
Mais ne crains rien, je suis malin ! »

Pedro Piccolo jette un coup d’œil sur la portée :
extraordinaire !
Le dernier air de musique est composé !
Le dernier air du concert de ce soir.

Le musicien saisit son violon et il s’écrie :
« Quel diable de lutin, tu es !
Comment fais-tu ?
— Oh, c’est très difficile,
répond le lutin rouge.
Je te le dirai peut-être plus tard,
si tu t’occupes bien de moi.
Je voudrais, moi aussi,
devenir un musicien célèbre.
Tu m’aideras, tu me le jures ?
— Tout ce que tu voudras ! » promet Pedro.

***



L’heure du concert approche.
Pedro noue sa cravate à petits pois verts.
Un coup de peigne sur sa moustache.
Du dentifrice sur ses chaussures
et du cirage noir sur sa brosse à dents...
Puis il enfile sa veste de pyjama :
« Aïe, aïe, aïe et pelure d’oignon !
soupire Pedro. Que m’arrive-t-il ce soir ?
— Tu as le trac, remarque Fassol Lassido.
— Je n’ai jamais le crac... heu, le trac !
rétorque Pedro Piccolo.
Je me sens simplement un peu nerveux. »



Pedro met ses lunettes dans sa poche
et son mouchoir sur son nez...
Il est vraiment très, très énervé.
Il range ses instruments de musique
dans un grand sac et il s’inquiète :
« Fassol, où es-tu ?
— Sur ton épaule, répond le diable.
Ne t’en fais pas, tout se passera bien !
Mais n’oublie pas de me présenter
à la fin du concert. Je suis ton associé.
— Bien sûr, évidemment, naturellement !
Parole de musicien. »

***



Une heure plus tard, le concert commence enfin.
DO DO DO !
Les spectateurs ne disent plus un mot.
Le célèbre musicien Pedro Piccolo
s’avance sur la scène.

Tout à coup, les instruments sautent hors du sac :
TA RA TA TA ! fait la trompette.
TURLUTUTU ! siffle le pipeau.
NION NION... supplie le violon.
ZIM BOUM CLAC !
Même les cymbales se donnent des claques !

Incroyable ! Pedro roule de grands yeux :
« Aïe, aïe, aïe et pelure d’oignon !
J’ai la berlue...
— TURLUTUTU ! » approuve le pipeau.

Les spectateurs enthousiasmés
applaudissent à qui mieux mieux :
« Fantastique ! Quel concert ! »
Et Pedro Piccolo saisit
une baguette de chef d’orchestre
en gémissant :
« Raté... c’est complètement raté...
— Faux ! Ecoute plutôt les bravissimo ! »
dit Fassol Lassido
qui court d’un instrument à l’autre,
pince une corde par-ci,
tape sur une touche par-là...

Que de cris : « Bravo, Pedro Piccolo ! »
Que d’applaudissements
et de fleurs lancées sur la scène !
« Dis quelque chose !
souffle le diable à l’oreille de Pedro.
Dis quelque chose dans le micro.
Ils n’attendent que ça.
Surtout, n’oublie pas que je t’ai aidé ! »

Le musicien toussote et annonce :
« Je suis heureux que ce concert vous ait plus.
C’était facile...
J’essaierai de faire mieux la prochaine fois.
— Quoi ? grogne le diable. Facile ?
Facile à dire, mais pas facile à faire ! »

Aïe, aïe, aïe et pelure d’oignon !
Pedro n’aurait jamais dû oublier sa promesse.

Que va faire le diable vexé ?
Il claque des doigts.
Après une pirouette, les instruments
sortent de la scène, tous à la queue leu leu...
sans tambour ni trompette !

En tête du cortège marche Fassol Lassido,
les cornes pointées vers le ciel.
« Où allez-vous donc ? »
répète Pedro Piccolo, désespéré.



Les instrument de musique ne se retournent même pas.
Ils s’éloignent dans la rue,
escaladent la grille d’un jardin,
se balancent un moment sur un trapèze volant,
font un tour de tourniquet... et puis s’en vont.

***



Pedro n’a jamais revu le diable rouge
et il croit qu’il a rêvé.
Pourtant, Fassol Lassido et son orchestre
existent vraiment.
Ils parcourent le monde...
Et comme la Terre est ronde,
ils reviendront un jour chez Pedro Piccolo.
C’est diablement certain !